L'écoulement de von Kármán (à ne pas confondre avec l'allée de tourbillons du même Théodore von Kármán) est produit par la rotation de deux disques qui se font face dans un cylindre rempli de fluide. Lorsque les disques sont munis de pales, et que le fluide est peu visqueux (eau), l'entraînement inertiel du fluide produit une turbulence intense à hauts nombres de Reynolds.

Un tel écoulement a été utilisé pour étudier des propriétés fondamentales de la turbulence, notamment afin de tester la portée de l'hypothèse de restauration des symétries des écoulements turbulents. Malgré leur nature instantanée très aléatoire, il semblerait en effet que statistiquement, et à petite échelle, les écoulements turbulents respectent les symétries que le forçage leur impose. L'écoulement étudié ici pose la question suivante :
Les propriétés de restauration statistique des symétries des écoulements turbulents s'appliquent-elles également statistiquement aux grandes échelles ?
Un résultat important à ce sujet a été obtenu par Florent Ravelet, Louis Marié, Arnaud Chiffaudel et François Daviaud. Ces derniers ont montré que l'écoulement conservait une mémoire aux grandes échelles qui permet à l'écoulement de rester statistiquement dans une configuration asymétrique malgré un retour à un forçage symétrique. L'écoulement présente une hystérèse statistique.
Ainsi, lorsque les turbines tournent à des fréquences imposées en bas et
en haut identiques, il est possible d'imposer
, et donc d'avoir un forçage symétrique par renversement de l'expérience, mais d'obtenir écoulement qui restera indéfiniment orienté vers l'une des turbines. Une analogie avec les systèmes ferromagnétiques nous permet de montrer la forme du cycle obtenu lorsque
et
sont modifiés.
Pour les hauts nombres de Reynolds, les paramètres sans dimension pertinents sont :

Le cycle existant à fréquence de rotation imposée permet donc bien de faire survivre plusieurs états pour une différence de rotation donnée, notamment en 0. Le cycle complet, obtenu en balayant
de -1 à 1, montre l'existence de trois branches, dont une branche centrale métastable, entre lesquelles une gamme de couples
est interdite.
Durant ma thèse, je me suis intéressé à la possibilité d'imposer le couple et
aux turbines afin d'étudier la dynamique de l'écoulement dans la gamme interdite. Ces états obtenus lorsque nous imposons
autorisent des fluctuations éventuellement importante de la vitesse de rotation des turbines. Une sélection d'expériences effectuées en commande en couple confirme cette intuition.

L'étude des propriétés statistiques de l'écoulement aux temps (relativement) longs et aux grandes échelles a fait l'objet de plusieurs publications. D'autres propriétés statistiques de l'écoulement induites par le changement de sens de rotation des turbines a fait également l'objet de plusieurs publications (Pierre-Philippe Cortet et al., New Journal of Physics, 2011).
L'étude des processus de dissipation élémentaires dans l'écoulement a fait l'objet d'une thèse (celle de Denis Kuzzay) et est au centre de l'expérience SHREK (qui fait la même chose que chez nous, mais dans l'hélium liquide !)